Lu sur Pollution plastique : tout comprendre aux négociations qui s’ouvrent à Paris (reporterre.net)

 

175 États vont se réunir à Paris pour établir un traité limitant la production et l’utilisation de plastique. Quelques pays, dont la France, défendent un texte ambitieux. Mais les États pétroliers pourraient bloquer tout progrès.

De l’atmosphère aux tréfonds océaniques, la pollution plastique inonde la planète. Les projections de l’Organisation des Nations unies (ONU) sont alarmantes : d’ici dix ans, la production de plastique devrait concourir à hauteur de 17 % aux émissions de gaz à effets de serre. Autrement dit, bien plus que celles du secteur aérien, qui polarise pourtant tous les regards.

Du 29 mai au 2 juin, quelque 175 États se rassembleront à Paris pour poursuivre des discussions entamées six mois plus tôt, en Uruguay. Objectif des négociations : établir un traité international visant à mettre un terme à la production et l’utilisation effrénées de plastiques. Et ce, d’ici la fin de l’année 2024 : « Le calendrier est très ambitieux, sourcille Henri Bourgeois-Costa, de la fondation Tara Océan. Rappelons qu’il a fallu dix ans pour signer le traité de la haute mer. »

« À notre grande surprise, l’ambition de la France est assez forte, reconnaît Juliette Franquet, directrice de Zero Waste France. Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, se dit déterminé à diminuer la production, et ne semble pas tomber dans le mirage du recyclage. » Parmi les mesures qu’il défend, apparaissent l’interdiction de mise sur le marché de certains produits, l’instauration de dispositifs pollueurs-payeurs, l’obligation de transparence et de traçabilité ou encore la prévention des rejets de microplastiques dans l’environnement.

Pour les scientifiques et les associations écologistes, deux éléments primordiaux doivent apparaître dans les grandes orientations du futur traité. À commencer par le caractère juridiquement contraignant du texte : « Aujourd’hui, jeter un déchet par terre en France est censé être passible d’une amende. Qui s’est déjà fait verbaliser pour ça ? Personne, image Alexandre Iaschine, délégué général de la Fondation de la Mer. Et c’est pareil à l’échelle planétaire. »

Le pétrole brut est extrait du sous-sol puis est transformé en matière plastique (granulés, liquides ou poudres). Ifremer / Lesbats Stephane / CC BY 4.0

L’autre cheval de bataille des défenseurs de l’environnement concerne la cible : « Ce traité ne doit pas être celui de l’éradication des déchets, pour sauver les baleines et les dauphins, poursuit Henri Bourgeois-Costa. Il faut s’attaquer à la globalité du cycle de vie des plastiques. » Celui-ci commence par l’extraction du pétrole — ce qui aggrave la crise climatique — et s’achève avec l’incinération des déchets ou leur mise en décharge. Un cycle mortifère que Joëlle Hérin, de Greenpeace Suisse, désire voir disparaître : « Sans plafonnement et réduction immédiate de la production, on court à la catastrophe. »

Le lobby pétrolier à la table des négociations

Dès le 29 mai, entreront en scène les jeux d’alliance. D’un côté, les pays les moins ambitieux, comme les États-Unis ou le Japon, feront pression pour éviter que n’émergent des accords contraignants internationaux. Pour eux, les plans d’action nationaux suffisent. De l’autre côté, la High Ambition Coalition, composée notamment de l’Union européenne, du Royaume-Uni, du Canada, du Rwanda et du Pérou, soutient une approche audacieuse, fondée sur les droits humains.

« Notre volonté d’obtenir un traité juridiquement contraignant ne fait pas l’unanimité aujourd’hui, confirme une source diplomatique française. La question est de savoir jusqu’où on pourra aller ? » Pour cause, à la table des négociations, s’installeront également les États pétroliers, susceptibles de bloquer tout progrès. À l’ouverture des discussions en Uruguay, l’Arabie Saoudite et les États-Unis ont déjà tenté de ralentir ou faire échouer les négociations. Camouflés sous des groupes de façade, comme l’Alliance to End Plastic Waste, affluaient par ailleurs des lobbyistes de l’industrie des combustibles fossiles.

« Ces acteurs de la pétrochimie ont de gigantesques intérêts à continuer de produire en masse du plastique, s’indigne Juliette Franquet. Comment croire qu’ils vont agir dans l’intérêt public ? » Le 22 mai, une lettre ouverte, signée par plus de 150 scientifiques et organisations de la société civile, exhortait les Nations Unies à empêcher ces grandes sociétés d’accéder aux arènes de négociations. En vain. « Un précédent existe, assure pourtant Henri Bourgeois-Costa. À l’OMS [Organisation mondiale de la santé], les tabagistes ont été exclus des discussions sur la lutte antitabac. »

Des granulés de plastique s’envolent du mégacomplexe pétrochimique de TotalÉnergies d’Écaussinnes, petite ville wallonne. C’est là que la multinationale française transforme son pétrole en polymères, à raison de 1,2 million de tonnes par an. © Alexandre-Reza Kokabi/Reporterre

En parallèle, les voix de personnes les plus affectées tombent dans l’oubli. Peuples autochtones, travailleurs ramassant les déchets dans les pays du Sud, syndicats, associations et scientifiques sont sous-représentés. Le 16 mai, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (Unep) a d’ailleurs déclaré limiter le nombre d’observateurs pouvant entrer dans le cercle des négociations. « Des militants du monde entier arrivent à Paris, pensant avoir une accréditation, et découvrent qu’ils devront rester sur le paillasson », confirme Juliette Franquet.

Un vote à l’unanimité ou à la majorité ?

Cette deuxième réunion, sur cinq prévues, devrait rester procédurale. « Nous sommes encore à un stade préliminaire de la négociation, insiste un diplomate français. Il ne faut pas s’attendre à ce que le traité soit signé dans les prochains jours. » Les principaux thèmes abordés concerneront les outils de financement et de contrôle du futur accord, pas les détails des mesures.

Les négociateurs devront aussi déterminer les règles de gouvernance et de prise de décision. « Cet aspect crucial ne doit pas être négligé, prévient Joëlle Hérin, de Greenpeace Suisse. Allons-nous voter le texte à l’unanimité ou à la majorité ? Si la première solution est retenue, alors les pays réfractaires au traité pourront considérablement l’affaiblir et faire traîner le processus. » Aux yeux d’Alexandre Iaschine, délégué général de la Fondation de la Mer, il faudra trouver un équilibre entre un texte à l’ambition la plus élevée qui soit et l’adhésion d’un maximum de pays.

Au mois d’avril, le secrétariat du comité intergouvernemental a publié une compilation des propositions exprimées par chaque partie prenante, quelques mois plus tôt, en Uruguay. Ce document soumet différentes options, desquelles les 175 États doivent désormais dégager des points de convergence. Si les négociations parisiennes se déroulent bien, une première mouture du traité pourrait voir le jour dès cet été. Alors greenwashing ou traité d’une génération ? Pour Joëlle Hérin, il est trop tôt pour le dire.